L’art du combat – un essai de Coralie Camilli

La pratique des arts martiaux est une pensée. Elle est une manière de reconfigurer ce que nous croyons savoir à propos des évidences les plus élémentaires de notre existence : la vie, la mort, l'espace, le temps, la force, le corps. En pratiquant un art martial, ce ne sont pas seulement les gestes et les mouvements qui changent, mais la manière même de voir le monde – la manière même de le réfléchir. Et si ce que peut un corps consistait d'abord à résister à la tentation de la maîtrise ? Et si atteindre un niveau plus élevé de sophistication dans notre rapport à la force impliquait d'abord de l'abandonner ? Et si la puissance véritable était d'abord une impuissance ?

Conviant les grands maîtres de l'aïkido autant que Henri Bergson, Ludwig Wittgenstein ou Edmund Husserl, les grands poètes japonais que Spinoza ou Leibniz, Coralie Camilli propose dans ce court essai toute une série de réponses inattendues à ces questions, nourries de sa double expertise martiale et philosophique – des réponses qui restituent les arts du combat à leur horizon fondamental : celui de la sagesse.

L'art du combat - Camilli Coralie
EAN13 : 9782130824084
ISBN : 978-2-13-082408-4
Éditeur : Presses universitaires de France
Collection : Perspectives critiques
Nombre de pages : 172
Dimensions : 18 x 12 x 1 cm
13.00 €

interview extrait de Corse matin - Propos recueillis par Laurent Casasoprana (https://www.corsematin.com/articles/aikido-lart-du-combat-108667)

De retour de l'Empire du soleil levant, entre un entraînement au Dojo et des cours de philo dispensés en téléconférence (Covid-19 oblige), la calvaise, Coralie Camilli, évoque la sortie de son nouvel essai

Ceinture noire 2e DAN d'Aïkido, docteure en philosophie, auteure de plusieurs ouvrages universitaires, Coralie Camilli s'apprête à publier « L'art du combat », aux éditions PUF (Presses Universitaires de France). Une réflexion philosophique sur la pratique des sports de combat en général et l'aïkido en particulier, une activité qu'elle a notamment pratiquée au Japon. 

« L'art du combat » est votre second essai à paraître chez PUF. Pourquoi avoir choisi de traiter la notion de combat sous l'angle philosophique ?

Ce livre est né de la volonté de mettre en relation deux activités qui me tiennent à cœur : la philosophie que j'enseigne à l'université en tant que maître de conférences et l'aïkido que je pratique de manière intensive depuis trois ans.

Pour moi, il s'agissait d'un bon moyen de lier ces deux passions. C'est une réflexion philosophique sur les capacités corporelles que nous avons. Par ailleurs, à ce jour, peu de publications se sont intéressées aux arts martiaux d'un point de vue philosophique.

Quels sont les principaux thèmes de réflexion abordés dans cet ouvrage ?

La pratique des arts martiaux est une pensée. Elle est une manière de reconfigurer ce que nous croyons savoir à propos des évidences les plus élémentaires de notre existence : la vie, la mort, l'espace, le temps, la force, le corps.

En pratiquant un art martial, ce ne sont pas seulement les gestes et les mouvements qui changent, mais la manière même de voir le monde, la manière même de le réfléchir.

J'amène une réflexion en rapport avec les armes, par exemple sur le fait de tenir une arme dans les mains, ce que cela peut changer dans le rapport à la distance entre le partenaire ou l'adversaire. Selon qu'il s'agisse d'un sabre, d'un bâton...

Un chapitre entier est dédié au mouvement. Un autre chapitre s'intéresse à la notion de sensation : à partir de quand fait-on la différence entre sensation vécue et sensation éprouvée ? Expliquer la différence philosophique entre un partenaire, un adversaire et un ennemi.

Dans mon livre, ces notions sont traitées d'un point de vue philosophique, ce qui dépasse le cadre de l'aïkido en tant que discipline. Cela ouvre véritablement des perspectives philosophiques pour une réflexion plus générale sur l'usage du corps.

Vous vous attachez aussi à démontrer que philosophie et aïkido sont intimement liés...

Je pense que la philosophie se nourrit d'une pratique autre qu'elle-même. Cela peut être la pratique d'un art martial comme l'aïkido. Mais aussi la danse, la peinture, la navigation... La philo se prête à réfléchir sur les objets qui peuvent lui être extérieurs. Et en retour les objets extérieurs peuvent se prêter à une réflexion philosophique qui vient enrichir la pratique. Car on pratique toujours mieux quelque chose quand on comprend ce que l'on fait et quand on y réfléchit. Ce genre de pont, de lien, ne peut être que bénéfique.

A qui s'adresse cette publication ?

A tout le monde. Je pense que la lecture est assez aisée. Cet essai part d'une réflexion sur un vécu et non pas d'une idée. En ouverture, je raconte de manière descriptive des entraînements et la vie au Japon telle que je l'ai vécue durant plusieurs mois en 2019.

Je me suis entraînée dans ce pays et j'y ai pratiqué l'art martial. J'explique les cours au Dojo. Il s'agit d'un essai philosophique relié à du concret pour proposer des réflexions, des hypothèses de lecture sur un sujet assez peu abordé jusqu'ici.

Cela permet de ne pas être trop dans l'abstraction. Ensuite, j'évoque l'usage du corps. Je décris les différentes prises en aïkido, la pratique du sabre, ou encore la manière de vivre et de pratiquer ce sport dans le dojo traditionnel de Tokyo.

Un récit qui permet au lecteur de se faire une représentation mentale de la manière dont se déroule un entraînement d'art martial. Puis, j'amène le lecteur à réfléchir sur l'usage du corps d'un point de vue philosophique.

Ce type d'ouvrage devrait intéresser en premier lieu les philosophes et les étudiants autant que les sportifs qui pratiquent l'art martial et qui souhaite réfléchir sur celui-ci.

« L'art du combat » est avant tout un essai dans lequel je donne des pistes de lecture, des hypothèses, des ouvertures d'interprétations.

Plus jeune, vous étiez parti en Israël pour écrire votre premier ouvrage paru en 2013 chez PUF, « Le temps et la loi. » Le Japon, une autre nation qui vous passionne...

Effectivement. J'avais côtoyé des rabbins en Israël pour mes recherches qui m'ont permis de sortir « Le temps et la loi » en 2013, et j'ai procédé de la même manière pour « L'art du combat » en me rendant dans l'archipel japonais.

C'était aussi important de se rendre là-bas pour comprendre cette pratique de l'aïkido. Il fallait un rapport entier : parler la langue, y vivre plusieurs mois. Le but était de pratiquer au Dojo et passer mon grade de deuxième DAN sur place.

Mais en même temps, j'aborde des thèmes qui me sont chers et qui me permettent de poursuivre ma réflexion.

La question de la violence, le rapport au corps propre (la chair) ou la politique. J'ai essayé de m'appuyer sur les grands maîtres de l'aïkido autant que sur les grands philosophes comme Henri Bergson, Ludwig Wittgenstein ou Spinoza et même les grands poètes japonais.

Vous montrez aussi que votre travail de réflexion philosophique sur l'aïkido s'applique aux arts martiaux en général...

Le but était de partir d'un point concret mais de l'étendre à un concept plus général.

Donc ma réflexion sur la pratique de l'aïkido que je prends comme point de départ, comme illustration, s'applique à tout type d'art martial.

L'aïkido est une technique à main nue, d'immobilisation corporelle par coup de poing ou de pied, avec un rapport très physique mais où les armes telles que le sabre ou le bâton de bois sont aussi utilisées.

Dans mon ouvrage, je présente les points spécifiques que l'on trouve à la pratique de l'aïkido à la différence de la pratique du Sumo, du tir à l'arc, du Karaté ou encore du Judo... Mais je souligne à la fois les points communs et les différences, les spécificités.

Le rapport à la mort est évoqué dans « L'art du combat ». Dans la pratique d'un art martial, cette notion est davantage propre au Japon...

Pendant mon séjour là-bas, j'ai été acceptée dans une école de sabre traditionnel où le professeur est un descendant d'une grande famille de samurai.

J'y consacre effectivement un chapitre entier. Ce qui était particulièrement frappant, c'est que les cours portaient sur le fait de savoir comment mettre à mort l'ennemi avec le sabre !

Cette question de la mort était omniprésente dans les cours qui duraient cinq heures par jour. Il ne s'agissait pas de savoir juste comment épargner l'adversaire, quel rapport avoir avec le sabre, ou comment dégainer avec un joli mouvement...

La question essentielle de cet art portait sur la question de la vie et de la mort. Tout un cours dédié au seppuku, le rituel japonais du suicide par éventration en cas de honte. Donc la question du combat est intimement liée à celle de la mort.

C'est très intéressant de constater philosophiquement que cette question était très présente dans la pratique du sabre au sein de cette école japonaise issue d'une grande famille de samurai qui avait vécu de vrais combats.

Cette notion du combat au sens littéral de la vie ou de la mort se pose moins en occident et c'est pourquoi j'ai trouvé intéressant d'y réfléchir.

 

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